La grande histoire

Lanna et le Royaume des Eaux

Chapitre 5

Pour ce chapitre, j’ai préféré prêter ma plume à l’une des protagonistes de l’histoire. Je ne saurais, de par ma nature, retranscrire correctement les émotions suscitées par cet effroyable pan de notre histoire.


An 731 après la conquête des Quatre Continents
Lanna – Taverne des Oubliés, Royaume d’Itlan (Juzil)

Je prenais goût aux terres émergées. Je crois même que l’eau avait complètement cessé de me manquer. J’avais acquis une certaine position dans l’Alliance et Marnordir me faisait entièrement confiance depuis DursTor. J’avais enfin trouvé ma place.

Cette nuit-là, je sortais de la Taverne des Oubliés où j’avais rencontré Shania, qui revenait de Lymronia, pour écouter son compte rendu de la situation au sein de l’Empire. Maximilien, le fils de Daryen, venait d’être sacré empereur.
Nous nous quittâmes devant la porte et je pris le chemin du palais de Gar’Awall où je séjournais en Juzil grâce à mon rang. Je suis l’héritière du Royaume des Eaux qui couvre tous les océans de notre monde.

Je marchais vite, car j’avais froid. C’est pourquoi, je ne le remarquai pas tout de suite. Puis, son ombre immense se détacha sur la neige. Un frisson me parcourut d’abord, comme à chaque fois, puis le soulagement vint remplacer la gêne.

Vagabond.
Son véritable nom est Declan. Il est le chef des Chevalier des Ombres.

– Alors comme cela on suit les jeunes filles dans les rues désertes, la nuit ? lui dis-je.
Il ne rit pas. Il ne me lança pas l’une de ses moqueries. Je m’approchai de lui et fut frappée par son regard. Même lorsque nous affrontions les pires dangers dans le palais de DursTor, il ne m’avait regardé de cette façon. La mort. Elle seule pouvait lui donner cet air sinistre.
– Que se passe-t-il ? demandai-je.
– Ton frère, Ilas, dit-il simplement.
– Qu… quoi, Ilas ?
La mine du Vagabond se fit plus grave encore.
– Dis-le ! hurlai-je.
– Lanna…
– Dis-le à haute voix !
– Ilas est mort.

Je ne me souviens pas très bien de la suite des évènements à part la douleur et la voix de Declan. Je finis par atterrir au palais de Gar’Awall, sur mes pieds ou sur le dos de Declan, je ne sais plus. Là, ce dernier m’expliqua ce qui était arrivé à mon merveilleux frère de douze ans.

Maximilien, nouvel empereur de Sayosia, n’avait pas accepté la mort de son père et la puissance toujours grandissante de l’Alliance de Marnordir. Il avait décidé d’annoncer tout de suite la couleur.

Il rassembla mille enfants des Quatre Continents que son armée avait capturés. Ces mille enfants, choisis au hasard, se retrouvèrent à Kel-Nazir, la capitale de l’Empire, où ils furent abattus devant l’empereur et une foule en tendue.

Ce matin-là, à l’aube, Ilas partait pour l’école sur les terres de Juzil. Chez les elfes d’eau, la tradition veut que les familles envoient leurs enfants étudier sur les terres émergées dès l’âge de dix ans. La famille royale ne fait pas exception.
Ilas était seul sur le chemin de l’école, lorsqu’un soldat de Sayosia l’attrapa et l’attacha sur un dragon avec cinq autres enfants

Le voyage jusqu’à Kel-Nazir ne dura que quelques minutes grâce à la magie des dragons. Une fois à la capitale, une cérémonie officielle annonça au peuple ce qui allait se passer, puis, sans attendre, l’armée exécuta tous les enfants. La foule, sous le choc, tenta de se révolter, mais l’armée tua les gens « turbulents ». Beaucoup périrent pour l’exemple et la population se résigna.

En tout cas, il était certain que personne ne reconnut mon frère, Ilas, Fils de Mylena, reine du Royaume des Eaux, dans le groupe des enfants.

Declan dut m’expliquer ce qui s’était passé une bonne dizaine de fois avant que je ne réagisse, ce que je fis en vomissant sur ses bottes. Ensuite, je lui demandai pourquoi. Pourquoi Maximilien avait-il tué mon frère?

Alors qu’il alla se nettoyer, c’est le roi Gar’Awall dont je n’avais pas remarqué la présence qui me répondit:
– Il a fait cela pour attirer l’attention de Marnordir. Pour se faire respecter. Ce fou furieux est encore plus pourri que son père.
– Comment pouvez-vous être sûr que mon frère soit mort ? A-t-il réellement disparu ? Peut-être qu’il a seulement quitté l’école pour rentrer au palais enfoui. Peut-être qu’il…
– Votre mère l’a vu, m’interrompit le roi avec douceur. Elle a d’abord senti sa panique grâce au lien qui l’unit à vous deux, alors elle a envoyé un message à la gouvernante de votre frère sur le continent et un autre à son école. Ensuite, elle a consulté une tortue des Âges et celle-ci lui a montré ce que Declan vous a raconté. La gouvernante et l’école ont confirmé la disparition d’Ilas. De plus, peu après, des messagers impériaux ont fait circuler des tracts concernant la tuerie.

Je me mis à pleurer. Si je nourrissais encore un espoir, il fut détruit par les paroles du roi d’Itlan. Une tortue des Âges ne ment jamais.

– Ce n’est pas tout, poursuivit Gar’Awall pendant que Declan se rasseyait auprès de moi, propre, quoi qu’empestant encore un peu. Nous devons nous rendre au palais de votre mère. L’Empire est faible, il n’a plus d’Initié sous sa coupe, ce qui veut dire que, bientôt, l’héritier de Daryen n’aura plus assez de Sorts pour nous combattre. Maximilien a tué ces enfants pour attirer l’attention de Marnordir et de tous ses alliés et il a réussi, ainsi il peut faire passer son vrai message qui est le suivant…
Gar’Awall sortit un parchemin portant le sceau de Sayosia de sa poche et lut:
– «Oyez, oyez, peuples de Sayosia des Quatre Continents, mille enfants ont péri et d’autres périront si l’ordre n’est pas rétabli. Le Mage Marnordir et son infâme magie ont vicié le cœur de l’Empire jusqu’à ce que mon père, le grand Daryen de la dynastie Saya, soit lâchement assassiné par l’un de ses chiens. Moi, Maximilien, empereur de Sayosia, annonce aujourd’hui que dans une semaine jour pour jour, si Marnordir et ses alliés ne se rendent pas à la garde de Sayosia, ici, à Kel-Nazir, pour être jugés pour haute trahison, je ferai tuer mille enfants par jour jusqu’à ce qu’ils se rendent tous…» Et cela continue, ajouta Gar’Awall. Il donne aussi la liste des alliés : Wersteimer Chevalier des Glaces, Autorité dans le clan des Chevaliers des Glaces ; Declan Chevalier des Ombres, Autorité dans le clan des Chevaliers des Ombres ; Mylena reine du Royaume des Eaux et, bien sûr, les quatre princesses de Lymronia et Aodh l’Initié.

Gar’Awall plia et rangea le parchemin dans sa poche. Nous partîmes dans l’heure pour le palais enfoui, Declan le Chevalier des Ombres, Gar’Awall le roi solitaire et moi-même, la première guerrière de Marnordir et l’héritière du Royaume des Eaux.

J’étais tellement enragée et déchirée par la mort de mon frère que je me rendis compte que nous étions arrivés sur la côte de Juzil que quand Declan me jeta à l’eau.

– Je suis désolé, mais tu ne répondais pas. Nous avons besoin d’un transport, s’il te plaît, dit-il alors que je m’ébrouais.
– Je vais appeler un orque.

Et je le fis. Peu de temps après, un immense orque arriva. Il me reconnut immédiatement.


"Peu de temps après, un immense orque arriva. Il me reconnut immédiatement."

– Bonjour, Votre Altesse, c’est un honneur pour moi de vous accompagner aujourd’hui, où que vous alliez.
– Bonjour, nous allons au palais, merci.

Nous entrâmes dans l’orque, puis celui-ci amorça sa descente dans les profondeurs. Nous vîmes la lumière diminuer à travers la peau transparente de l’animal alors que nous atteignions les abysses.

– J’espère que nous n’allons pas tomber sur ce sale Cavalier Sans Visage, déclara Declan alors que nous dépassions un cheval de mer.
– Le Cavalier Sans Visage ? demanda le souverain Gar’Awall. Qui est-ce?
– Je crois que c’est une sorte d’esprit de l’eau, n’est-ce pas, Lanna?
– En effet, répondis-je, pas vraiment concentrée sur la conversation.
– Je crois que c’est un esprit vengeur ou jaloux. Ou un esprit farceur… hésita Declan. Je ne sais plus, en tout cas on dit qu’il hante le fond des océans à la recherche de nourriture. Personne n’a jamais survécu à une rencontre avec lui. Il n’a pas de visage et ne peut pas manger. Sa faim est telle qu’il fait dévorer par le monstre qu’il chevauche tous les êtres vivants qu’il rencontre. Avec le temps, ces deux… horreurs ont fini par ne faire plus qu’un.
– Ceci est une légende, dit le roi d’Itlan.
– Non, il existe vraiment, pas vrai, princesse? me sollicita Declan.
– hmm, hmm… marmonnai-je, perdue dans mes pensées.
– Tu vois!
– Bon, alors comment peut-on être sûr qu’il existe, si tous ceux qui l’approchent meurent?
– Euh… je n’y ai jamais réfléchi… Mais il y a certainement une explication ! se renfrogna Declan.

Nous arrivâmes, bien assez tôt à mon goût, au palais enfoui. Une idée ne quittait plus mes pensées et le temps me manquait pour constituer un plan. J’allais devoir improviser et je n’aimais pas cela. A mon grand soulagement, nous échappâmes au long protocole d’usage à cause de l’urgence de la situation. Lorsque nous entrâmes dans la salle du trône et que je vis l’expression glaciale et déterminée de ma mère, je faillis m’effondrer. Je ne l’avais jamais vu comme cela. C’était comme si elle était morte à l’intérieur. Je m’inclinai tant bien que mal et pris place à ses côtés.

Les Chevaliers des glaces étaient déjà là et entouraient Wersteimer, leur chef. Ils étaient arrivés peu avant. Kallan Marnordir et ses Initiés arrivèrent quelques minutes après nous. Tous les royaumes et clans visés par Maximilien se trouvèrent bientôt sous la protection sous-marine du Royaume des Eaux, inatteignable pour tout ennemi de constitution non-aquatique. Manquèrent à l’appel le honni Aodh ainsi que les quatre princesses de Lymronia, toujours sous l’emprise du maléfice Chasse-temps, mais représentées par une délégation surarmée.

Ils entamèrent de longues et fastidieuses conversations politiques qui accaparèrent l’attention de tous pour déterminer la stratégie de défense à adopter contre l’Empire.

– C’en est trop, disait l’un, ces singes sont allés trop loin, seule une révolte massive les arrêtera!
– Je suis d’accord, disait l’autre, mais les peuples sont sous leur joug depuis si longtemps qu’ils sont impossibles à convaincre!

Je me faufilai dans l’un des couloirs tentaculaires à ce moment des débats. Personne ne me prêtait plus attention depuis longtemps. Je ne laissai pas passer une telle occasion et quittai le palais en douce.

Encore aujourd’hui, je pense que mon comportement fut des plus idiots, mais j’étais jeune et mon petit frère venait de mourir. Je ne crois pas que j’aurais été capable de réagir autrement de toute façon. Quoi qu’il en soit, on ne refait pas l’histoire et j’ai joué mon rôle, fut-il bon ou mauvais.

J’avais, désormais, une mission à accomplir et j’étais prête à mourir pour elle. Je nageai le plus vite et le plus loin possible du palais et de ses environs. Je m’engouffrai dans une forêt d’arbres d’eau suffisamment éloignée des sentiers battus pour ne croiser personne. Je fouillai dans le sable à la recherche d’une pierre tranchante ou d’un morceau de coquillage bien affuté. Une liste de tâches simples commença à se dresser toute seule dans ma tête et je m’exécutai sans me poser de questions. Je ne pouvais affronter ce qui se passait, par contre, trouver un objet tranchant, je pouvais le faire sans trop de difficultés.

Je dénichai un morceau de coquillage très aiguisé et me coupai les cheveux très courts avec. J’enterrai les mèches dans le sable pour ne pas laisser de traces. Je nageai ensuite pendant un temps indéterminé jusqu’aux côtes. Là, je remontai à la surface et sortis de l’eau. Ensuite, je guettai le moment propice pour accomplir la troisième tâche sur ma liste. Enfin, je pénétrai dans une riche maisonnée et dérobai des vêtements d’homme presque à ma taille.

Je replongeai et m’enfouis dans les profondeurs sous-marines jusqu’à une petite grotte non loin de là. Je m’y glissai et me changeai. Je bandai ma poitrine et enterrai mes bijoux. Un petit tour élargi mon menton et mon nez et transforma la pâleur bleutée de ma peau en une carnation tout à fait sayosienne.

Les sirènes de ma mère devaient déjà être parties à ma recherche alors je ne perdis pas de temps et nageai le plus vite possible en direction du Sud. Je m’écartai des chemins marins les plus fréquentés et passai par des forêts aquatiques ou des criques abandonnées. J’évitai les villes et villages et ne croisai personne. Au bout de deux heures, je m’arrêtai pour me reposer.

Le voyage durerait une journée, je devais garder mes forces. Je ne m’étais pas rendu compte que je m’étais autant éloignée de la civilisation et plus je nageais, moins je reconnaissais le chemin. Je ne mis pas longtemps à être totalement perdue. J’errai bientôt au bord d’abysses étranges et infréquentables. Je paniquai. Comment allais-je accomplir ma mission sur terre, si je n’étais pas capable de retrouver mon chemin sous l’océan ? Je tournai en rond en suffoquant, submergée par le désespoir. Je m’évanouis.

J’ouvris les yeux sur un plafond de nacre, usé par le temps. J’étais allongée sur un lit. Je m’assis. Au moins, j’étais encore sous l’eau. Malheureusement, mon glamour avait disparu pendant ma perte de conscience et mon visage n’avait plus rien de masculin.

Une voix douce chantonnait. Je me redressai quand une elfe d’eau entre deux âges entra dans la pièce.
– Vous êtes réveillée, mon chou ! Tant mieux, j’ai fait du crabe!
Sa voix était vraiment très douce et si je n’avais pas vu ses oreilles d’elfe, je l’aurais prise pour une sirène. Les lignes de son visage étaient comme brouillées, j’avais du mal à la regarder longuement.
– Je vous remercie, mais je dois impérativement m’en aller ! Merci de m’avoir recueilli, mais maintenant je vais très bien alors je vais partir.
– Vous ne pouvez pas partir comme cela, on n’a pas encore mangé, dit-elle d’un ton ferme, sa voix durcie tout à coup.
– Je suis désolée de me montrer si discourtoise, madame, mais je dois partir immédiatement. Je n’ai rien à vous donner pour vous remercier, mais je reviendrai avec de l’or dès que je le pourrai. Pouvez-vous m’indiquer la côte, maintenant, s’il vous plaît?
L’elfe se plaça entre la porte et moi comme si elle faisait le poids contre mes pouvoirs.
– Je ne crois pas, mon chou, dit-elle.

Je l’écartai d’un geste de la main et sortis, furieuse. J’arrivai, à ma grande stupéfaction, non pas dans la pièce voisine à celle où je m’étais réveillée, mais dans une gigantesque toile de fils de soie. Je me retournai vivement et au lieu d’une porte, d’une chambre ou d’une maison, se tenait un monstre gigantesque. L’elfe d’eau avait disparu. A la place, un énorme cavalier emmitouflé dans une grande cape noire chevauchait la créature tentaculaire et visqueuse la plus répugnante que j’aie jamais vu.
– On n’a pas encore mangé, j’ai dit ! s’écria le monstre d’une voix grave et dissonante.

Je cherchai inutilement une échappatoire. Mes pieds étaient emmêlés dans la toile et plus je me tortillais plus les liens se resserraient. Quelle idée stupide avais-je eu de vouloir me venger ! Lanna, justicière solitaire pendant dix minutes et bientôt morte!

Je perçus sous sa capuche, l’absence de ses traits. C’était le Cavalier Sans Visage et j’allais mourir. Tout le monde savait qu’on ne survivait pas au Cavalier.

L’esprit est parfois curieux, je trouve. A cet instant, alors que ma fin approchait à grands pas, je ne pensais qu’à une chose : comment cette abomination faisait-elle pour parler sans sa bouche ? Je savais pourtant que notre monde était régi par la magie, mais cette explication ne me suffisait pas. J’étais fascinée par cette créature.
– Je voudrais te poser une question, dit le Cavalier de sa voix désagréable. As-tu trouvé mon numéro de l’elfe bienveillante convaincant? Je m’entraîne depuis longtemps maintenant et je n’arrive pas à m’y faire, il y a quelque chose qui cloche.
– La jolie voix, c’est bizarre. Ce sont les sirènes qui ont un organe en or. Nous, nous nous contentons de nos pouvoirs, dis-je en faisant crépiter le bout de mes doigts dans une piteuse tentative de l’impressionner. Et le glamour ne tient pas très bien: le visage était flou.
– Ah! Le visage! dit-il. C’est toujours le même problème… Et la voix! Je me disais bien que cela ne marchait pas! Je te remercie, petite chose, je vais pouvoir améliorer mon personnage. J’étais comédien de mon vivant, tu sais, aux Arènes des Rois, mais le temps a passé. C’était il y a des milliers d’années. Maintenant je suis… ceci!
– J’ai une idée, dis-je dans un sursaut de désespoir. Vous me laissez la vie sauve et je vous mène quelque part où il y a plein de gens à manger! Qu’en dites-vous?
– Comment oses-tu me prendre pour un idiot, moi, le Fléau des Océans ! hurla-t-il.
L’eau vibra autour de nous sous les assauts de sa colère.
– Pour qui te prends-tu, espèce de marionnette dégoutante! poursuivit-il, fou de rage. C’est cet humain qui t’a parlé de cette entourloupe, c’est ce mage, n’est-ce pas? Il s’en est tiré une fois en me promettant des montagnes d’êtres vivants à dévorer, ce mécréant, or, il a disparu avec sa lumière blanche. Tôt ou tard, je mettrai la main sur lui et je le tuerai! Pour l’heure, je vais m’occuper de toi, petite sournoise ! Je ne te mangerai pas, tu me dégoûtes, à la place, je vais te tuer et t’enterrer là où personne ne te retrouvera jamais.

Je sentis le souffle nauséabond de sa bête sur moi. C’était la fin.

Soudain, une lumière blanche extrêmement brillante nous aveugla et je fermai les yeux un instant. Le monstre rugit. La lumière disparut aussitôt. Il me fallut quelques instants pour distinguer à nouveau ce qui m’entourait. Le Cavalier Sans Visage était inconscient, couché, à plusieurs mètres de sa monture, elle aussi inanimée. La toile avait disparu et je pus à nouveau bouger. Je vis alors ce qui avait terrassé le monstre. Entre le Cavalier et moi se tenait un homme dans une bulle d’air.

Vagabond.

–Est-ce qu’il est mort? demandai-je hébétée.
– Je n’en ai aucune idée, répondit Declan.
– Comment as-tu fait cela?
– Je ne sais pas. Je l’ai vu s’approcher de toi et j’ai perdu la tête, je me suis jeté sur lui, mais au moment de l’impact, il y a eu comme une explosion de lumière et il est tombé.

Declan me raconta comment il m’avait pisté après avoir découvert ma disparition. Puis, il tenta de me retenir:
– Ne fais pas ce que je crois que tu vas faire, je t’en prie.
– Il est trop tard, je ne peux pas vivre, pas comme cela. Je dois faire quelque chose.
– Je t’en prie… me supplia-t-il.
– Je dois essayer!
– C’est impossible, c’est insensé!
– On verra bien…
– Alors, je viens avec toi!

Il ne m’aurait jamais laissé partir seule. Et nous avions plus de chances de réussir à deux.
– Je n’en attendais pas moins de vous, Chevalier.

A ces mots, nous nageâmes ensemble vers le Sud. Voyager sur les terres était trop risqué.

Après plusieurs heures, nous atteignîmes l’une des entrées sous-marines d’Abethia. De là, nous espérions rejoindre le centre de Kel-Nazir par les profondeurs.

C’est alors qu’au moment de pénétrer dans l’un des tunnels d’Abethia, une silhouette immobile nous barra le chemin.
–Halte-là!
Cette voix était unique, nous la reconnûmes immédiatement.

Marnordir.